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La série « Mon Empereur » est une allégorie retraçant mes propres pas pour concrétiser mes deux aspirations les plus profondes : vivre en harmonie avec le monde extérieur et accéder à l’épanouissement intérieur.
Je raconte une histoire personnelle, un lien tissé avec un Etranger, à partir d’un croisement de parcours qui m’a bouleversé. L’humour et la tendresse m’ont appris à le connaître ou, plus exactement, à le reconnaître.
Ses mouvements et ses traits ont évoqués en moi ceux du manchot Empereur, Aptenodites forsteri, « oiseau rare sur la terre ».
Son entrée triomphante dans ma vie et sa tendre conquête de mon royaume ont engendré un Empire, avec ses symboles et ses mythes. J’en suis devenue architecte ; dans ce nouvel Empire d’amour, je célébrais l’envahisseur de mes terres.

Oiseau sympathique aux allures paisibles, pourquoi s’appelle-t-il  Empereur ? Est-ce un guerrier cruel et sanguinaire à l’apparence débonnaire ? Cache-t-il si profondément sa violence et sa tyrannie? Le mystère de cet Oiseau m’envoute. Je voulais apprivoiser toutes ses contradictions pour en trouver la cohérence.

« Le visible de l’invisible »

Le vocabulaire plastique élaboré pour cette série réfère à l’esthétique de l’art iconographique russe : isolement des figures, perspective symbolique, afin que le contemplateur devienne le point convergeant de la composition et établisse ainsi un lien intime avec elle. Je voulais renforcer le symbolisme de mon message. Les toiles de l’ « Empereur » ne sont pas seulement extérieurement esthétiques : ce sont des images qui, communiquant avec la totalité de la personne, sollicitent son cœur, son esprit et son âme.
Deux lumières sont signifiées : celle matérielle de l’éclairage des objets, mais aussi et surtout la lumière intérieure.

L’importance du verbe dans la tradition orthodoxe russe - on « écrit » une icône - m’a poussé à chercher des citations latines (tracées dans la toile « Mur réflexion »).

Le choix des couleurs de fond.
Parce qu'il est très difficile
de séparer la psychologie de la symbolique, le choix des couleurs reste essentiellement subjectif.
J’assume prioritairement ce choix dans l’introduction des rouges. Leur chaleur et leur sensualité me permettent d’amplifier la densité émotionnelle du récit. Dans les textes sacrés chrétiens, égyptiens, hébreux et arabes, le rouge est toujours associé au feu et à l’amour divin, il symbolise la divinité et le culte. A Rome, c’est la couleur des généraux, de la noblesse, des patriciens et des empereurs… En psychologie, le rouge s’associe à la joie de vivre, l’optimisme, la vigueur, l’instinct combatif et ses tendances agressives, la pulsion sexuelle, le désir amoureux, la passion, le besoin de conquête...
J’ai aussi choisi le rouge en référence à plusieurs langues où il est synonyme de « coloré », et encore une fois par rapport au russe, dans lequel il est synonyme de « beau ».

Le jaune est lumineux, joyeux et stimulant. Couleur de l'intellect, il aiguise la lucidité, la concentration et la mémoire. Symbole de richesse et de prospérité, je l’ai choisi pour attirer le regard, parce qu’il éclaircit l’espace… parce qu’il est optimiste et dynamisant, qu’il évoque l'or et le soleil.
Dans pratiquement tous les peuples, l’or est intimement lié à la richesse, donc à la noblesse, au pouvoir. Couleur de Dieu (on ne peut regarder le soleil) et de l’immortalité, elle est ici plus spécialement celle des empereurs et des rois, qui se sont appropriés cette couleur, aussi bien en Europe qu’en Chine, en Inde ou en Egypte.

L’apparition du bleu, qu'il soit aérien ou océanique, évoque de vastes espaces calmes et sereins. Couleur fraiche et reposante, le bleu inspire ma créativité. Couleur de paix et de spiritualité, il me procure un sentiment de confiance et de sécurité, grâce à ces vertus apaisantes. C’est ma couleur du secret, qui appelle à l’évasion et au rêve.
Dans la Grèce et la Rome antiques, le bleu, couleur du ciel, était également la couleur des dieux maîtres Zeus et Jupiter.
Mélangé au vert, je le fais devenir instable, attaché à la subversion du désir, incertain et éphémère : il évoque l'amour, l'espérance, la jeunesse, ou encore le jeu.

Le violet est douceur, tendresse, romantisme, sensibilité, rêve... Figure de méditation, je l’associe au calme. Nés du rouge et du bleu, couleurs aux personnalités totalement opposées, le violet, comme le mauve et le pourpre, autres teintes de sa famille, suggère tantôt mystère, richesse et délicatesse, tantôt malaise, trouble ou provocation. Je veux le violet dans la double personnalité qui lui vaut toujours des réactions si variées, de même que la religion le concrétise dans son association directe avec le mystère de la Passion du Christ.
J’aime l'histoire des teintures, celle de la pourpre, ce pigment dérivé d'un mollusque qui, dans le monde antique, servait à colorer les vêtements les plus précieux, réservés exclusivement aux Empereurs. Seul le fils du souverain « naît dans la pourpre ».
Dans l'empire britannique, le mauve est longtemps une des rares couleurs autorisées, avec le gris, le noir et le blanc, durant les périodes de demi-deuil. Cela explique peut-être en partie l'aversion du milieu de la mode pour cette couleur, jusqu'au milieu du XIXe siècle. J’aime lui garder cette connotation lugubre.

Le noir est symbole par excellence d’élégance et d’autorité. Il m’évoque la dignité, le pouvoir et la menace.
Associé aux vêtements ecclésiastiques. couleur de la condamnation et du deuil en Occident, le noir symbolise une grande épreuve, comme l’a écrit Kandinsky : « Comme un rien sans possibilités, comme un rien mort après la mort du soleil, comme un silence éternel, sans avenir, sans l’espérance même d’un avenir résonne intérieurement le noir ». Le noir, c’est aussi l’ignorance, le repli obscurantiste qui tente de nous trahir à chaque instant et qu’il faut vaincre pour assurer sa propre métamorphose.
Ainsi Judas, le traitre, apparait nimbé de noir sur ses terribles et rares représentations moyennageuses. Les Romains marquaient d’une pierre noire les jours néfastes.
Je trouve dans la mythologie gréco-latine l’état primordial où le noir évoque plus précisément le néant et le chaos qui précèdent la création. Le Chaos engendra la Nuit qui épousa l’Erèbe : ils eurent enfin un fils, l’Ether.
C’est dans l’Égypte antique que je trouve enfin ma symbolique positive du noir, grâce au verbe « kem » de la langue des pharaons. Dans ce mot, il est élévation, accomplissement, perfection, obligation et devoir…

Le blanc enfin, comme contre-couleur du noir et son égal en valeur absolue. Je l’utilise à la fois comme absence et somme des couleurs. Il se place ainsi tantôt au départ, tantôt à l’aboutissement de la vie diurne et du monde manifesté. C’est ma couleur de passage.
Vassili  Kandinsky encore : « Le Blanc…est comme le symbole d’un monde où toutes les couleurs, en tant que propriétés de substances matérielles, se sont évanouies… le blanc, sur notre âme, agit comme le silence absolu… Ce silence n’est pas mort, il regorge de possibilités vivantes… C’est un rien plein de joie juvénile ou, pour mieux dire, un rien avant toute naissance, avant tout commencement. »
Le deuil blanc est messianique. Il indique une absence destinée à être comblée, une vacance provisoire. C’est le deuil des Rois et des Dieux qui vont obligatoirement renaître : Le Roi est mort, vive le Rois ! Il correspond bien à cette cour du pays de France, qui est le mien aujourd’hui, où le deuil se portait en blanc.

Anna Doumler